Que ce soit au sein du Collectif des Associations Unies ou aux côtés de l’Uniopss, le Logement Accompagné a joue la carte du collectif pour renforcer sa visibilité. Entretiens avec Manuel Domergue et Patrick Doutreligne.
« Il faut que nous soyons plus critiques et indépendants »
Entretien avec Manuel Domergue, Porte-parole du Collectif des Associations Unies (CAU)
Le Collectif des Associations Unies porte depuis près de 15 ans une approche collaborative des questions du logement. En quoi cette dynamique est-elle adaptée à l’époque ?
En mobilisant ensemble tous les acteurs associatifs de la chaîne du logement, nous voulons faire passer un message fort à ceux qui cherchent à opposer de manière factice hébergement, logement accompagné et logement social. Toutes les solutions représentées au sein du Collectif ont leur place dans le secteur et le logement accompagné que porte l’Unafo a d’ailleurs une place particulière puisqu’il montre que le logement est accessible à tous, y compris aux personnes qui ont eu des parcours très difficiles. C’est un des messages que nous essayons de porter auprès des pouvoirs publics, le fait qu’il ne faut pas présumer des capacités d’habiter de quelqu’un et que les gens ne sont pas condamnés à rester en hébergement d’urgence ou sous tutelle.
Diriez-vous que vous avez réussi à être entendus lors de ce quinquennat ?
Pour ce qui est du mal-logement au sens large, je vous renvoie au bilan du CAU et au rapport de la Fondation Abbé Pierre qui décrit point par point le bilan pour le moins décevant des cinq dernières années. Mais ce constat amer n’empêche pas de regarder les réussites, et nous pouvons notamment être fiers du travail de sensibilisation réalisé autour des pensions de famille, porté largement par l’Unafo et la Fondation Abbé Pierre. En invitant des responsables politiques, des médias, des candidats à l’élection présidentielle à venir visiter des pensions de famille, à découvrir les sites, à rencontrer les gens qui y sont logés, nous avons réussi à leur faire comprendre la pertinence de ce modèle.
Qu’est-ce qui explique que ça ait particulièrement fonctionné sur ce sujet-là ?
Il y a je pense à la fois une méconnaissance et une peur des personnes sans domicile fixe qui ne dit pas son nom chez une partie de la population et même des élus. Pour les pouvoirs publics, il est donc rassurant de voir que ces personnes en grande précarité et en grande fragilité ne sont pas laissées à elles-mêmes, que la stabilité d’un logement, combiné à un accompagnement professionnel, permet de les sortir de l’errance, de la méfiance et de la défiance. C’est ce qui explique qu’il y ait eu une adhésion trans-partisane autour de ce sujet : le gouvernement a poussé le développement des pensions de famille dans le Logement d’Abord, la Ville de Paris s’est saisie de la question et a soutenu de nombreux projets, plusieurs candidats ont également repris nos positions dans les dernières semaines…
Y-a-t-il d’autres sujets qui ont avancé récemment dans le débat public ?
La problématique des jeunes qui sortent de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) a enfin réussi à émerger, en particulier grâce à la parole des premiers concernés. Ce sont des parcours difficiles, douloureux, et on se rend compte que beaucoup de ces jeunes qui sortent sans suivi se retrouvent à la rue. Nous nous mobilisons pour pousser des solutions comme les Foyers de Jeunes Travailleurs qui ne sont pas toujours bien identifiées par les pouvoirs publics et les collectivités mais qui pourtant permettent de sortir ces jeunes des solutions de court-terme que sont les centres d’hébergement d’urgence ou les hôtels. Les FJT sont des solutions de logement où ils peuvent se stabiliser, bénéficier d’un accompagnement et trouver une certaine entraide auprès d’autres jeunes. Peu à peu, on sent que les lignes bougent enfin sur ce sujet.
Là encore, vous avez misé sur la prise de parole commune pour être plus efficaces…
Parler d’une même voix aide forcément. Chaque fois que nous sommes désunis, les pouvoirs publics ont une tendance naturelle à accentuer ces divisions et à jouer un acteur contre l’autre. L’union permet aussi à des acteurs peut-être moins visibles comme peuvent l’être les gestionnaires du logement accompagné de se faire entendre. Mais je pense qu’il faut aller encore plus loin et que les gestionnaires n’hésitent pas à prendre la parole et à se faire plus critiques vis-à-vis des pouvoirs publics. Nous ne sommes pas des fonctionnaires soumis au devoir de réserve, nous sommes ancrés sur le terrain et nous avons une voix autonome importante à faire entendre. N’ayons pas peur d’être critiques et indépendants.
« L’État reste encore trop passif et regarde le marché se faire »
Entretien avec Patrick Doutreligne, Président de l’Uniopss
Comment abordez-vous cette fin de quinquennat ?
Avec une certaine amertume, tant la politique du logement a été un échec pendant ces 5 années. Il y a bien eu des efforts de faits sur le front de l’hébergement, cela a permis de trouver des solutions pour un certain nombre de personnes, mais globalement cela reste très insatisfaisant. Pourtant, ça avait bien démarré avec le Logement d’Abord qui était réclamé par les réseaux associatifs et qui était plutôt de bon augure. Il y aussi eu une volonté de remettre les territoires dans l’équation, ce qui est une bonne chose. Mais il ne peut y avoir de Logement d’Abord sans logements : or la production de logement social a baissé de manière dramatique, et ça a commencé bien avant le Covid. Au fond la politique de la ville est restée impensée pendant ce quinquennat. Et la baisse des APL ou les ponctions sur les ressources des organismes HLM ont envoyé des signaux catastrophiques au secteur…
Les associations des secteurs sanitaire, social et médico-social que représente l’Uniopps ont pourtant été consultés à de maintes reprises…
Effectivement, il y a eu énormément de consultations. Sans doute n’avons-nous jamais été autant consultés que pendant ce quinquennat pour parler des politiques de lutte contre l’exclusion, contre la pauvreté, pour le logement… Mais le problème c’est que l’on est resté au stade de la consultation. On n’est presque jamais passé à la concertation et jamais à la phase de co-construction. On nous a sollicités, notamment au début de la crise du Covid, mais nos propositions n’ont pas été écoutées et il n’y a eu aucune inflexion des pouvoirs publics.
A l’approche de l’élection présidentielle, craignez-vous de voir les sujets que vous portez ignorés par les candidats ?
Il est difficile d’être optimiste quand on voit que les questions de logement ou de lutte contre l’exclusion sont quasiment absentes des débats politiques. On commence à parler de pouvoir d’achat, c’est un début, mais alors que le logement est le premier poste de dépense des Français, on ne parle que d’énergie. Certes c’est un sujet, perceptible qui plus est, mais on ne peut pas réduire le logement seulement à cette dimension. On a là un vrai levier pour agir dont personne ne se saisit.
Quels sont les sujets que l’Uniopss souhaiterait porter dans le débat ?
Il faut remettre des sujets majeurs sur la table, comme la modération des loyers pour toutes les agglomérations, la relance de la production de logements sociaux et intermédiaires, la reconfiguration des centres-villes et du paysage périurbain… Depuis le début de la pandémie, on voit que beaucoup de nos concitoyens quittent les grandes métropoles pour des villes à taille plus humaine, pour respirer, avoir des jardins… ça pourrait être une occasion de donner des orientations, d’accompagner cette réalité d’une stratégie de développement durable, d’amélioration énergétique, de renforcement de la mixité sociale… Mais l’État ne fait rien et regarde le marché se faire : c’est maintenant qu’il faut agir, pour relancer le logement social sur les territoires qui connaissent cette nouvelle dynamique.
Comment réussir à faire émerger ces sujets ?
En continuant à parler d’une même voix. C’est pour moi l’une des plus grandes réussites de ces dernières années : alors que nous sommes peu considérés par les pouvoirs publics, nous aurions chacun pu jouer notre partition et rester dans notre coin. Mais au contraire, les têtes de réseaux comme l’Uniopss, l’Unafo, le Collectif Alerte, la Fondation Abbé Pierre ont préféré miser sur les synergies plutôt que sur l’individualisme. Nos liens avec l’USH se sont également resserrés ce qui est très positif.
Cette dimension collective est-elle suffisante pour faire bouger les lignes ?
Suffisante je ne sais pas mais elle est nécessaire, c’est certain. Surtout que nos collectifs sont présents sur tout le territoire, ce qui nous permet d’avoir une vision globale, et de remonter les réussites qui existent sur le terrain. D’ailleurs, ce qu’on n’arrive pas à faire au niveau de l’État, on arrive à la faire avec les collectivités les plus dynamiques, c’est plutôt bon signe. Mais si à un moment l’État ne prend pas ses responsabilités pour imposer un cap, on n’y arrivera pas. Si on laisse aux marchés et aux décideurs locaux la décision en matière de logement, alors on retombera dans l’égoïsme et la non-mixité sociale.