Dans le cadre du magazine Action habitat et du dossier sur les élections, l'Unafo donne la parole à Patrick Doutreligne, président de l'Uniopss.
« L’État reste encore trop passif et regarde le marché se faire »
Entretien avec Patrick Doutreligne, Président de l’Uniopss
Comment abordez-vous cette fin de quinquennat ?
Avec une certaine amertume, tant la politique du logement a été un échec pendant ces 5 années. Il y a bien eu des efforts de faits sur le front de l’hébergement, cela a permis de trouver des solutions pour un certain nombre de personnes, mais globalement cela reste très insatisfaisant. Pourtant, ça avait bien démarré avec le Logement d’Abord qui était réclamé par les réseaux associatifs et qui était plutôt de bon augure. Il y aussi eu une volonté de remettre les territoires dans l’équation, ce qui est une bonne chose. Mais il ne peut y avoir de Logement d’Abord sans logements : or la production de logement social a baissé de manière dramatique, et ça a commencé bien avant le Covid. Au fond la politique de la ville est restée impensée pendant ce quinquennat. Et la baisse des APL ou les ponctions sur les ressources des organismes HLM ont envoyé des signaux catastrophiques au secteur…
Les associations des secteurs sanitaire, social et médico-social que représente l’Uniopss ont pourtant été consultés à de maintes reprises…
Effectivement, il y a eu énormément de consultations. Sans doute n’avons-nous jamais été autant consultés que pendant ce quinquennat pour parler des politiques de lutte contre l’exclusion, contre la pauvreté, pour le logement… Mais le problème c’est que l’on est resté au stade de la consultation. On n’est presque jamais passé à la concertation et jamais à la phase de co-construction. On nous a sollicités, notamment au début de la crise du Covid, mais nos propositions n’ont pas été écoutées et il n’y a eu aucune inflexion des pouvoirs publics.
A l’approche de l’élection présidentielle, craignez-vous de voir les sujets que vous portez ignorés par les candidats ?
Il est difficile d’être optimiste quand on voit que les questions de logement ou de lutte contre l’exclusion sont quasiment absentes des débats politiques. On commence à parler de pouvoir d’achat, c’est un début, mais alors que le logement est le premier poste de dépense des Français, on ne parle que d’énergie. Certes c’est un sujet, perceptible qui plus est, mais on ne peut pas réduire le logement seulement à cette dimension. On a là un vrai levier pour agir dont personne ne se saisit.
Quels sont les sujets que l’Uniopss souhaiterait porter dans le débat ?
Il faut remettre des sujets majeurs sur la table, comme la modération des loyers pour toutes les agglomérations, la relance de la production de logements sociaux et intermédiaires, la reconfiguration des centres-villes et du paysage périurbain… Depuis le début de la pandémie, on voit que beaucoup de nos concitoyens quittent les grandes métropoles pour des villes à taille plus humaine, pour respirer, avoir des jardins… ça pourrait être une occasion de donner des orientations, d’accompagner cette réalité d’une stratégie de développement durable, d’amélioration énergétique, de renforcement de la mixité sociale… Mais l’État ne fait rien et regarde le marché se faire : c’est maintenant qu’il faut agir, pour relancer le logement social sur les territoires qui connaissent cette nouvelle dynamique.
Comment réussir à faire émerger ces sujets ?
En continuant à parler d’une même voix. C’est pour moi l’une des plus grandes réussites de ces dernières années : alors que nous sommes peu considérés par les pouvoirs publics, nous aurions chacun pu jouer notre partition et rester dans notre coin. Mais au contraire, les têtes de réseaux comme l’Uniopss, l’Unafo, le Collectif Alerte, la Fondation Abbé Pierre ont préféré miser sur les synergies plutôt que sur l’individualisme. Nos liens avec l’USH se sont également resserrés ce qui est très positif.
Cette dimension collective est-elle suffisante pour faire bouger les lignes ?
Suffisante je ne sais pas mais elle est nécessaire, c’est certain. Surtout que nos collectifs sont présents sur tout le territoire, ce qui nous permet d’avoir une vision globale, et de remonter les réussites qui existent sur le terrain. D’ailleurs, ce qu’on n’arrive pas à faire au niveau de l’État, on arrive à la faire avec les collectivités les plus dynamiques, c’est plutôt bon signe. Mais si à un moment l’État ne prend pas ses responsabilités pour imposer un cap, on n’y arrivera pas. Si on laisse aux marchés et aux décideurs locaux la décision en matière de logement, alors on retombera dans l’égoïsme et la non-mixité sociale.